MEYRANX Louis Bernard, Curé, Bastide de Cazères-sur-l'Adour,
Bulletin Société de Borda, 1894, p. 65-66
Le bain de Saint-Jean Parmi toutes ces superstitions qui semblent avoir leur origine dans le paganisme, il en est une, dans le pays, qui nous a singulièrement frappés. C'est celle qui se rattache au bain dit : bain de la St-Jean. Il existe au fond de la forêt de L'Aveyron, sise sur les confins du quartier de Molés, en Cazéres [Cazères-sur-l’Adour, Landes], et sur ceux de la commune de Lussaignet, une fontaine d'une forme toute primitive. C'est un trou creusé sur le bord d'un chemin l'eau que ce réservoir argileux contient est sale et jaunâtre elle sert, pendant toute l'année, à abreuver les bestiaux qui pacagent dans cette solitude. Mais la nuit de la St-Jean venue, la voilà douée d'une vertu curative toute particulière. Dès le 23 juin, au soir, un autel rustique est dressé aux abords de la fontaine par des mains laïques et en dehors de toute autorité et de toute surveillance ecclésiastiques. Des baraquements à l'architecture primitive se construisent à côté, des baignoires en bois, des cuviers de lessive y sont installés, séparés par de simples draps de lit formant cloison. Sur le tertre voisin du trou miraculeux est bâti un fourneau en terre, et sur ce fourneau bouillent à grands renforts de bûches coupées dans la forêt, d'énormes chaudières remplies d'eau de la susdite fontaine. Minuit sonne heureux les baigneurs qui peuvent, à cette heure, se plonger, les premiers, dans les piscines improvisées, leur guérison est assurée. Les autres entrent dans les cabines avec une confiance moins affirmée cette confiance devient douteuse au lever du soleil. A ce moment, la source n'a plus la même vertu. Cette vertu diminue à mesure que !'astre du jour avance dans sa course. Cependant les bains ne discontinuent pas de toute la journée l'eau s'épuise peu à peu. Vers le soir on se vautre dans la boue. Entre temps, les industriels Entre temps, les industriels du voisinage, aubergistes, cafetiers, violoneux, ont dressé leurs tentes et leurs tréteaux à quelque distance du cloaque hanté. Peu à peu la foule des dévots s'écoule, celle des infirmes disparaît, et celle des amateurs de la joie leur succède. Le Vignau, Hontangs, Cazères, Lussaignet, Aire, St-Auhin, Le Houga, toutes les communes limitrophes et environnantes envoient là leurs jouvenceaux et leurs jouvencelles. L'esprit religieux est loin de présider à la réunion post-méridienne. Nous parlons de visu et nous avouons franchement que si Saint Jean fait valoir dans cette nuit mystérieuse sa puissante intercession près de Dieu en faveur de ses fidèles dévots, Hérodiade ne perd pas son temps près du diable, en lui confiant la présidence des amusements qui s'y donnent pendant toute la durée du jour. Les guérisons sont-elles nombreuses ? Nous l'ignorons. Mais voilà des siècles que le peuple obéit la même impulsion, et la foule ne ralentit jamais. La nuit on se baigne et le jour on danse. Cependant un certain esprit religieux semble toujours dominer dans ces réunions les alentours de la fontaine sont respectés du grand nombre des dissipés, les amusements profanes ont leur centre dans un lieu assez éloigné de la fontaine. Très certainement, l'origine de la dévotion la source de L'Aveyron doit remonter aux sombres jours du paganisme. Ces lieux solitaires et profonds, dont les fourrés sont encore quasi inextricables et toujours vierges ont dû être, jadis, hantés par les druides du pays. Le gui devait pousser vigoureux sur ces vieux troncs qui gisent çà et là, cadavres noircis de la forêt sacrée. Le diable possédait un autel dans ces retraites mystérieuses ne voulant point heurter inutilement le sentiment religieux de la contrée, en jetant l'interdit sur la fontaine consacrée à une puissance surnaturelle quelconque, les apôtres régionnaires, convertisseurs du pays, en bannirent l'infernale idole et mirent à sa place l'intercession de saint Jean, qui a rendu si célèbres les eaux du Jourdain en y plongeant, pour le baptiser, Celui qui devait régénérer le monde.